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Anna Kovelinka.
Oui, je connaissais son visage, mais elle s'était toujours présentée comme « Brigitte, la copine de David ».
Je ne pouvais la rater au milieu des occupants mâles de la maison. Sa longue crinière brune descendant jusqu'aux reins et sa peau d'une pâleur fatale avaient dû faire tourner la tête de plus d'un homme, et je m'amusais à la voir passer d'un étage à l'autre, imaginant le vaudeville qui s'y jouait, avec ses claquages de porte, ses entrées et sorties impromptues.
La petite amie du jeune homme du rez-de-chaussée avait très vite sympathisé avec Mostapha et Metin, les deux gars du second étage.
Elle passait presque autant de temps chez eux que chez le garçon au point qu'elle était sans doute la personne que je croisais le plus souvent dans l'escalier, la voyant monter ou descendre chez les uns et les autres.
D'origine albanaise et de confession musulmane, elle s'était très vite trouvée des points communs avec ces deux jeunes Marocains.
Anna cherchait peut-être depuis longtemps les bras armés de son action politique.
Rentrée très jeune dans les Forces Révolutionnaires Musulmanes, elle avait fait parler plusieurs fois d'elle et de son groupuscule pour des manifestations dans son pays qui avaient dégénéré.
Les FRM, comme beaucoup de petites mouvances de l'époque, revendiquaient un nouvel ordre islamique fondée sur le Coran, remettant la foi au centre de l'action politique, croyant pouvoir supprimer toutes les inégalités sociales en Albanie et dans le monde.
Aux premières élections où le mouvement se présenta, elle et les siens ne recueillirent qu'un maigre pour cent, ce qui radicalisa un peu plus les FRM. « Le pouvoir devait être pris par tous les moyens, démocratiques ou non, scandaient-ils.
Le parti fut interdit, dissout, mais après quelques mois d'emprisonnement pour distribution de tracts ouvertement hostiles au régime en place, les autorités albanaises perdirent la trace d'Anna Kovelinka et de ses compagnons d'armes.
On entendit à nouveau parler des FRM lors des attentats de New York, lorsqu'ils se réclamèrent directement d'une aile d'Al Qaïda. On crut retrouver la trace d'Anna en Egypte, lors d'une tentative d'assassinat ratée, la suspectant d'en être la commanditaire. Son dossier devenait lourd, et pendant deux, trois ans, les forces de police pensaient chaque fois retrouver sa trace dans une nouvelle contrée. Elle prit le temps de parfaire son français dans différentes régions du monde, ce qui la mena à ce moment en Belgique, dans les bras de mon jeune voisin.
Grâce, ou à cause de lui, elle allait l'utiliser comme paravent pour mettre le grappin sur les deux Marocains et reconstituer une cellule de combat et préparer ces attentats.
Et moi qui n'avais rien vu!