vendredi 23 mars 2007

12. Identité

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Anna Kovelinka.
Oui, je connaissais son visage, mais elle s'était toujours présentée comme « Brigitte, la copine de David ».
Je ne pouvais la rater au milieu des occupants mâles de la maison. Sa longue crinière brune descendant jusqu'aux reins et sa peau d'une pâleur fatale avaient dû faire tourner la tête de plus d'un homme, et je m'amusais à la voir passer d'un étage à l'autre, imaginant le vaudeville qui s'y jouait, avec ses claquages de porte, ses entrées et sorties impromptues.
La petite amie du jeune homme du rez-de-chaussée avait très vite sympathisé avec Mostapha et Metin, les deux gars du second étage.
Elle passait presque autant de temps chez eux que chez le garçon au point qu'elle était sans doute la personne que je croisais le plus souvent dans l'escalier, la voyant monter ou descendre chez les uns et les autres.
D'origine albanaise et de confession musulmane, elle s'était très vite trouvée des points communs avec ces deux jeunes Marocains.
Anna cherchait peut-être depuis longtemps les bras armés de son action politique.

Rentrée très jeune dans les Forces Révolutionnaires Musulmanes, elle avait fait parler plusieurs fois d'elle et de son groupuscule pour des manifestations dans son pays qui avaient dégénéré.
Les FRM, comme beaucoup de petites mouvances de l'époque, revendiquaient un nouvel ordre islamique fondée sur le Coran, remettant la foi au centre de l'action politique, croyant pouvoir supprimer toutes les inégalités sociales en Albanie et dans le monde.
Aux premières élections où le mouvement se présenta, elle et les siens ne recueillirent qu'un maigre pour cent, ce qui radicalisa un peu plus les FRM. « Le pouvoir devait être pris par tous les moyens, démocratiques ou non, scandaient-ils.
Le parti fut interdit, dissout, mais après quelques mois d'emprisonnement pour distribution de tracts ouvertement hostiles au régime en place, les autorités albanaises perdirent la trace d'Anna Kovelinka et de ses compagnons d'armes.
On entendit à nouveau parler des FRM lors des attentats de New York, lorsqu'ils se réclamèrent directement d'une aile d'Al Qaïda. On crut retrouver la trace d'Anna en Egypte, lors d'une tentative d'assassinat ratée, la suspectant d'en être la commanditaire. Son dossier devenait lourd, et pendant deux, trois ans, les forces de police pensaient chaque fois retrouver sa trace dans une nouvelle contrée. Elle prit le temps de parfaire son français dans différentes régions du monde, ce qui la mena à ce moment en Belgique, dans les bras de mon jeune voisin.
Grâce, ou à cause de lui, elle allait l'utiliser comme paravent pour mettre le grappin sur les deux Marocains et reconstituer une cellule de combat et préparer ces attentats.

Et moi qui n'avais rien vu!

lundi 19 mars 2007

11. Terminé



- D'abord, tu peux dire à tes amis que c'est fini, je ne ferai plus cette besogne.
- Pauline, je comprends que tu sois fâchée, ...
- La deuxième chose, c'est que j'ai évité le pire en désamorçant ton dispositif. Heureusement, que j'étais là, car cela aurait été un beau carnage, si je n'avais pas deviné tes manigances.
- Quoi, c'était toi ? Attends, il y a certaines choses pour lesquelles je ne suis pas responsable. Et si je te faisais confiance...
-Confiance? C'est comme ça que tu me faisais confiance? Ma pauvre Anna, tu es encore plus aveuglée que je ne le pensais. File de ma vie, débrouille-toi et ne réapparais plus.
- Tu sais, j'aurais vraiment voulu que tout se passe autrement, mais les circonstances... je veux t'expliquer...
- Oui, oui, c'est ça. Adieu, j'ai des personnes qui m'attendent et qui ont vraiment besoin de moi.


Pauline plantait la fille sans état d'âme. En deux mouvements, elle était déjà rentrée dans le home. Un chapitre se tournait.

Anna était désemparée. Ses dernières certitudes s'envolaient avec la trahison, enfin, elle le considérait ainsi, de sa seule amie. "Une amie...", pensait-elle.


Un rideau noir s'était fermé: elle avait à peine aperçu que la nuit s'était abattue sur la ville.
Et cette journée ne se déroulait absolument pas comme elle l'avait prévue. Rien n'avait tourné juste. Un concentré de plantages. Une vraie gamelle de motard, sans le casque!

dimanche 18 mars 2007

10. Pachéco


Elle franchit d'un pas décidé la porte d'entrée de l'institut, devenu depuis les années quatre-vingt une maison de retraite.
- Je voudrais voir mademoiselle Sowieski, s'il vous plait.
- Qui dois-je annoncer, madame? Demanda la jeune secrétaire d'accueil.
- Euh, une amie, Brigitte. Brigitte Kovens.
- Un instant, svp. Elle termine son service dans une heure, elle est au troisième étage pour les soins. Vous pouvez revenir plus tard?
- Non, c'est urgent, essayez de la contacter. Je suis pressée.
- Mais vous savez...
- Ecoutez, je n'ai pas le temps de discuter. Vous l'appelez vite fait, je n'ai pas à perdre du temps avec vous.


La jeune secrétaire devait avoir environ le même âge qu'Anna, mais elle ne faisait vraiment pas le poids face à la détermination farouche de la visiteuse.
Anna ne dut attendre que quelques minutes avant de voir apparaître Pauline Sowieski.


Arrivée il y a dix ans de Russie comme jeune fille au pair, la jeune Pauline avait rapidement trouvé ses marques dans cette ville multiculturelle.
Son intérêt pour la langue française lui avait ouvert beaucoup de portes, mais c'est finalement ses études de médecin qui lui avait permis de trouver cette place dans la maison de repos. A vrai dire, elle n'exerçait pas réellement son métier, mais le travail d'infirmière lui satisfaisait.
D'autant qu'elle restait ainsi discrète pour développer son commerce de faux papiers.
Dans un premier temps pour aider son jeune frère puis des compatriotes à venir en Europe, elle avait très vite élargi sa clientèle aux ressortissants des pays de l'est. Ses talents de faussaire étaient reconnus et lui donnaient l'occasion de choisir ses clients. Elle voulait éviter soigneusement les réseaux de prostitution ou les mafias albanaises. Mais elle n'était pas naïve et se doutait bien que l'un ou l'autre contrat dérogeait à ses règles éthiques; les gens réglos ne passaient pas par ses services.


Cette double personnalité était inquiétante et fascinante à la fois.

Il était difficile de comprendre pourquoi une femme brillante, francophile et médecin, traînait dans un hospice de la ville de Bruxelles comme infirmière et arrondissait ses fins de mois en falsifiant des papiers d'identité.
Mais son physique étourdissait son entourage et faisait oublier sa part de l'ombre. Les mystères ne manquaient pas, comme son âge. Tout le monde lui donnait une vingtaine d'années, alors qu'elle avait déjà passé la trentaine depuis trois ans.


- Qu'est-ce que tu fais là? Lança-t-elle.
- Ecoute, je n'ai pas le temps de t'expliquer. Je voudrais te parler de mes papiers.
- C'est fini, plus de papiers, plus d'aide.
- Mais je suis dans la merde totale et ...
- Plus mon problème, le contrat était clair, tu le sais. Et venir ici ne fait pas partie du contrat.


Autant Anna avait pu écraser la jeune secrétaire, autant ici elle avait trouvé son maître. Paulina menait la danse. Sûre d'elle, elle ne laissait place à la discussion. Au contraire, elle laissait pantois ses interlocuteurs. Et malgré son vécu, Anna ne bronchait pas.


- Viens par ici, j'ai encore deux choses à te dire, signala fermement la Russe.

mercredi 14 mars 2007

9. Anna




Anna se dissimulait dans de petites ruelles du centre ville depuis qu'elle avait appris la descente de police. En situation irrégulière, il s'agissait pour elle, une fois de plus, de disparaître.
Mais pour aller où, cette fois-ci? Refaire sa vie, retrouver quelques pigeons pour pouvoir accomplir ses projets politiques?
Comme toujours, sa naïveté contrastait avec sa détermination politique et sa capacité à rebondir.
Sa marche dans ces petites rues lui avaient remis les idées en place. Elle savait ce qu'elle avait à faire.
La première chose, c'était de récupérer de nouveaux papiers, une nouvelle identité. Et elle avait déjà rencontré la seule personne de Bruxelles qui pouvait lui faire ça en deux heures.
Pour ce genre de besogne, elle connaissait l'endroit où la retrouver: rue du Grand Hospice! A l'institut Pachéco!




dimanche 11 mars 2007

8. Interrogatoire


J'attendais depuis vingt minutes lorsqu'il sortit de son bureau.
Malgré ce que je pensais, l'inspecteur Degand était plutôt aimable cet après-midi.
Il m'accueillit dans le couloir avec beaucoup de civilité, m'offrit un café avant de m'asseoir.
Il commença par quelques questions anodines.

- Vous avez pu vous occuper avant de venir, privé de votre logement?
- En fait, j'ai trainé dans un café, je n'allais pas resté dehors, lui répondai-je.
- Oui, on ne l'attendait pas, cette neige, me rétorqua-t-il. Vous avez mangé au moins? Sinon, je vous fais apporter un sandwich.
- Non! mais ça va, je n'ai pas faim avec ces événements.
- Ça secoue, en effet, je peux comprendre.
Cette discussion me semblait irréelle, après l'entrevue du matin. Je commençai par me méfier, mais l'après-midi fut du même tonneau.

- Pour votre logement, je peux vous rassurer, il sera libéré ce soir et vous pourrez le réoccuper dès dix-huit heures. Nous terminons quelques devoirs d'enquête dans l'appartement voisin, c'est tout.- Tant mieux, ça m'arrange.
- Vous les connaissiez bien, vos voisins?
Ça y est, on rentrait déjà un peu plus dans le vif du sujet.

- Pour tout vous dire, on se voit très peu dans cette maison. Malgré le peu d'habitants, on a sans doute des horaires différents. Du peu que j'ai vu, ils sont deux au dessus de moi: polis, sans histoires, calmes.
- Et au rez de chaussée?
- C'est le plus ancien de la maison, mais le plus jeune en âge. Je sais que ...
- Bon attendez, on va reprendre tout cela dans l'ordre.
Pendant près de deux heures, sous des dehors affables, il me cuisina sur toutes les allées et venues de la maison. Les horaires, les amis, les situations maritales, tout y passait.
Je dois reconnaître qu'il avait du talent, car sans en donner l'impression, il parvint aussi à connaître mon emploi du temps, mes passions et mes fréquentations, et je ne le remarquai qu'à la fin de l'interrogatoire.
Il distillait l'un ou l'autre élément qu'il connaissait, souvent futile, comme pour mieux m'appâter car cela me donnait l'impression d'être dans la confidence. Je tombais dans ce panneau grossier et lui lâchais un morceau plus gros.
J'étais à ce point endormi par son ton empathique, que j'entendis à peine la question sur Anna Kovelinka. Il dut me la poser une deuxième fois pour me sortir de ma sorte de torpeur.
- Anna Kovelinka? Vous savez bien, je vous en avais touché un mot ce matin.
- Ah oui! Mais je vous ai dit que je ne la connaissais pas.
- Et si je vous montre sa photo?
Il retourna la photo qu'il avait préparée sur le bureau.
Contrairement à son nom, je découvris un visage qui ne m'était absolument pas inconnu.

dimanche 4 mars 2007

7. PJ


Je venais de sauter un repas, et je m'en rendais à peine compte.
Trop d'interrogations m'embrouillaient le cerveau.
Mon rêve avait brouillé les cartes et je tentais en vain de trouver un lien avec l'enquête policière, mais le temps passait et je ne pouvais plus attendre avant de me rendre au commissariat. Finalement, je n'avais rien à me reprocher, je ne voyais pas pourquoi je m'en faisais.
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Fabrice Degand était devenu inspecteur trois années plus tôt. L'arrestation de la bande de Schaerbeek lui avait fait gagner du galon. Une dixaine de jeunes ultra organisés semait la terreur dans les quartiers chics de la commune et indisposait sérieusement le pouvoir en place, lorsque le commissaire Degand avait été envoyé en remplacement d'un collègue en congé de maladie.
Les vols, les agressions de commerçants, les viols collectifs allaient disparaître avec lui, s'était prononcé de façon hasardeuse un collègue ami.
Les arrestations ne se firent en effet pas attendre. La rumeur enfla rapidement pour expliquer le rôle qu'il joua dans la résolution. Pour certains, Degand tenait quelques informateurs de choix dans le milieu. Pour d'autres, il avait travaillé quarante-huit heures, jour et nuit, en reprenant l'enquête à zéro et en y appliquant des méthodes d'investigation américaines. Pour d'autres encore, cela relevait plus du paranormal: Degand avait du flair, Degand avait des visions, Degand sentait les choses...
Mais chacun s'accordait à dire que sa venue dans l'équipe avait bonifié le travail.
Très apprécié de ses supérieurs, il avait rapidement monté dans la hiérarchie. Pourtant, il n'était pas un habitué des salons du pouvoir, et il ne devait sa place qu'à ses compétences, ce qui en donnait d'autant plus de mérite; il avait forcé le respect, et son travail efficace avait été justement récompensé.
Depuis lors, les grosses affaires lui avaient été confiées, avec des succès probants à la clé.
Il faut dire qu'il savait mener son équipe. Le nouvel inspecteur possédait le vrai profil de leader. Ses hommes avaient été très rapidement conquis par ce type discret mais qui imposait le respect.
Sa première tâche en tant qu'inspecteur fut d'éliminer les brebis galeuses qui traînaient dans les bureaux de la police judiciaire. Soutenu par la direction, il s'était constituée une équipe d'une douzaine d'hommes acquis à sa cause, prêt à tout pour le suivre.
Le discours qu'il tenait, clair, sans ambages, révélant un profil d'homme actif, soutenant ses hommes, plaisait aux policiers souvent démoralisés par le passé.
Au point que Degand avait de plus en plus les coudées franches au sein de la police, et tous les succès qui suivaient avaient fait taire les quelques derniers grincheux, jaloux de la réussite.
Tout le monde s'était accordé pour lui confier l'affaire d'Al Qaïda, espérant une résolution rapide.
Il n'avait pas fait mentir les propos élogieux sur ses méthodes. Moins de quatre jours après la première explosion, les descentes de police se succédaient pour se conclure par des arrestations dans les milieux islamistes. Dont une ce jour-là dans le quartier Meiser.
(ndla: je vous ai fait un peu attendre, mais les éléments se mettant en place, il faut que je prépare là où je vais vous mener. Merci à vous)

mercredi 28 février 2007

6. Voisins.

La pluie avait remplacé la neige qui ne subsistait que sur les voitures.
Pour tuer le temps avant de me retrouver en face de l'inspecteur, je m'étais dirigé vers la taverne au nom évocateur « Le jardin d'hiver », qui me semblait bien à propos vu la météo et mon état d'esprit. Située sur la place de la Patrie, elle offrait un lieu calme dans un décor art déco. Seuls deux, trois clients sirotaient leur café à l'heure du midi. Deux, trois vieux, qui passaient le temps. Je commandai à la serveuse un thé citron, histoire de me réchauffer et de faire un plein de vitamine C, puis m'assis sur une des banquettes matelassées situées près de la large fenêtre encore décorée d'un paysage d'hiver. Je m'assieds toujours près des fenêtres, et j'avais bien besoin ce jour-là de la lumière.

Je lus enfin le billet que je n'avais pas desserré de ma main. L'inspecteur se prénommait Fabrice Degand. Je me rendis compte que l'inspecteur n'avait pas daigné se présenter. Il est vrai que je n'avais même pas eu la présence d'esprit de lui demander son nom tellement il avait été distant et froid. Son profil était fait: je risquais difficilement de m'entendre avec lui.
La serveuse arriva avec le thé citron et déposa la note sur la table. Je fis à peine attention à elle, absorbé par ce que m'avait dit le policier.

On avait beaucoup parlé de la vague d'attentats qui s'étaient abattus sur Bruxelles depuis quinze jours.
Jusque là préservée, les terroristes avaient coup sur coup fait sauter trois lieux emblématiques à Bruxelles.
Après les explosions de l'aéroport de Bruxelles-national et la station de métro de Brouckère, qui n'avaient heureusement fait aucune victime, celle du lendemain à la RTBF avait surtout choqué l'opinion.
Pendant deux jours, seule RTL, sa rivale belge, était en mesure de rendre compte de l'événement en abreuvant les téléspectateurs d'images d'une RTBF en grande partie dévastée, à côté d'une tour des communications encore intacte. Le bilan était lourd, dénombrant vingt-trois victimes, dont le présentateur du JT.
Les enquêteurs avaient tôt fait de retrouver la trace d'un groupe de visiteurs dans lequel s'était glissé un kamikaze.
Funérailles nationales, délégation étrangère des télévisions du monde entier, la Belgique était sous les feux des projecteurs. Une vague de panique avait suivi aussitôt lorsqu'une fausse alerte à la bombe fut signalée au palais royal. Le dispositif mis en place pour assurer la sécurité des institutions européennes et internationales, nombreuses sur le territoire régional, fut renforcé.
Toutes les forces de l'ordre avaient été réquisitionnées afin de redonner confiance à la population et calmer les inquiétudes des nations amies, et plus personne ne se formalisait à croiser un militaire ou de découvrir des rues barrées par un char.
Ces mesures n'avaient pas arrangé les embouteillages qui étaient devenus un vrai calvaire, mais l'important semblait d'éviter à tout prix un autre carnage.
De reportages en documentaires, chaque élément était décortiqué et faisait la une des journaux depuis quinze jours. Toutes les conclusions se recoupaient: une branche d'Al Qaida installée dans la ville était passée à l'acte.
Mais je n'arrivais pas à imaginer que le couple marocain du deuxième étage faisait partie du complot.

dimanche 25 février 2007

5. L'inspecteur


Je tentai de m'approcher du périmètre de sécurité.

- Pardon, que se passe-t-il au 40? C'est chez moi.
- Ah? Vous habitez ici? Un instant, me demanda le policier de service.
Il fit signe à un autre policier, en civil celui-là, qui s'approcha rapidement.
Ce policier devait être commissaire, un gradé certainement. Malgré une petite taille, sa carrure de sanglier devait en imposer à ses hommes, ça se voyait au premier coup d'oeil. Les contestations étaient certainement tuées dans l'oeuf promptement. Malgré cette barbiche, son visage jovial posé sur ses deux solides épaules m'inspirait plutôt confiance.

- Monsieur, vous êtes? Me questionna-t-il directement.
Je ne m'étais pas trompé: direct, bref, qui en impose.
- Euh, monsieur Raffin, j'habite au premier et ...
- Ah, c'est vous Lionel Raffin! Pourquoi vous n'êtes pas allé travailler aujourd'hui?
Merde, il ne perdait pas de temps. Déjà au courant de mon nom et de mon absence au travail. Et il s'agissait maintenant de lui expliquer mon escapade...

- Je, bon, c'est pas compliqué, mais, comment dire... (J'essayais de gagner un peu de temps). Mais, dites-moi d'abord ce qui se passe chez moi.
- J'ai l'habitude de poser des questions, et je réponds à celle des autres uniquement quand je l'estime nécessaire.
J'oubliais déjà son visage jovial pour me concentrer plutôt sur l'aspect rude de sa barbiche taillée court.

- Je n'avais pas envie d'aller travailler, c'est tout, et j'ai fait un tour en voiture pour me changer les idées. Ca vous va? Signalai-je indigné.
- Pas vraiment. Mais vous continuerez cela cet après-midi, au commissariat central. Au fait, vous connaissez Anna Koulevinka?
- Pardon?
- Anna Kou-le-vin-ka!
- Jamais entendu parler.
- Dommage! Bon, rendez-vous cet après-midi.
- Et je peux rentrer dans mon appartement, monsieur le commissaire?
- Monsieur l'inspecteur! Et vous ne rentrez pas dans ce nid de terroristes.
- Terro... mais qu'est-ce que vous racontez?
- L'explosion de la RTBF*, il y a quinze jours, ça vous dit quelque chose tout de même, vous n'habitez pas très loin?
- Oui, bien sûr, j'ai suivi les infos, mais ...
- Et bien certaines racailles crêchaient au-dessus de vous, dit-il en me fixant, les mains dans ses poches.
- Mes voisins, des terroristes? interrogeai-je désabusé.
- Mmh! Voici l'adresse et l'heure pour notre causerie, soyez à temps.
Il me tendit le billet de rendez-vous qu'il venait de sortir de sa poche de veston. Je tins le billet bien serré dans mon poing cette fois-ci, tout en le voyant remonter en voiture.

*RTBF: Radio Télévion Belge Francophone

vendredi 23 février 2007

clochette

La sortie de route fut inévitable. La voiture glissa et vint s'immobiliser au bord du fossé, devant le poteau signalant 12 km.
Heureusement, il y avait plus de peur que de mal. Même pas de tôle froissée, juste une stupide plaque de verglas qui s'était chargée de me donner une frousse bleue.
Et c'est au bord de la route que tout s'éclaira.
Quel imbécile j' étais.

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Je m'étais déjà retrouvé dans cette situation plusieurs fois. Quatre, pour être précis.
Quatre aberrations qui m'avaient valu plusieurs séances chez le psychothérapeute.
Ce type était bien sympa et avait fait tout ce qu'il pouvait en essayant de mettre des mots sur mes fantasmes. On s'était quitté en bons termes; je devais être guéri de mes divagations après plusieurs mois de suivi. « Arrêtez de vous prendre pour Peter Pan, m'avait -il lancé en rigolant. "Quittez votre enfance et le temps des rêves, avait-il ajouté à la dernière séance. Elle datait de deux ans.
Et voilà que ça m'avait repris, ce matin glacial.

Pourtant, tous les éléments étaient réunis pour me le rappeler: un lieu de culte, une cathédrale en l'occurence, la fille aux yeux clairs (et ce n'était pas la fée clochette), une clé, de voiture ou de maison, la fuite, une heure précise, l'isolement, les années soixante,...
Si ces ingrédients étaient réunis dans mes rêves, cela se produisait.
Chaque fois, je me réveillais convaincu d'avoir vécu, réellement, ce que je venais de rêver.
Je ne parvenais pas à faire la distinction entre rêve et réalité. Une sorte de doublement de la personnalité, une faculté à rendre réel mes rêves, avait tenté de pronostiquer très maladroitement le psychothérapeute.

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Je remis la voiture en route (je devrais dire sur la route), sans difficulté.
Quelque part, j'étais soulagé de savoir que c'était du pipeau. Par contre j'étais absolument consterné de savoir que ces rêves me hantaient à nouveau. Sans savoir pourquoi, alors que j'en étais soulagé depuis trois ans, que j'avais un boulot bien rémunéré à défaut d'intéressant, une compagne aimante, des projets de vacances pour l'été, je me retrouvais à nouveau plongé dans cette folie.
Sur le retour, je me demandais si je devais dès mon arrivée à l'appartement téléphoner au médecin pour refixer de nouveaux rendez-vous ou appeler le boulot pour justifier mon absence.
Je devais rapidement oublier les deux options.
En cherchant une place pour me garer, je vis que la police avait bouclé une partie de ma rue, précisément trois maisons contiguës. Dont la mienne!

mercredi 21 février 2007

Rendez-vous.

Quelques affaires rapidement entassées dans la voiture, quelques toussements de moteur, la montre du tableau de bord indiquait neuf heures quand la voiture se mit à démarrer.
Une fois passé l'embouteillage de Meiser, aggravé par des voitures de secours filant à toute allure sirènes hurlantes, je mis le turbot sur l'autoroute déjà débarrassée de la neige par la circulation du matin.
Je ne pensais pas mettre la radio, je me limitais à fixer la route et à retourner sans cesse les paroles de la mystérieuse inconnue dont je n'avais même pas eu la présence d'esprit de demander le prénom.
Pas besoin de mémo à mon âge, j'avais appris le papier par coeur. L'adresse que m'indiquait le billet de « la demoiselle » se situait dans un petit village flamand, à Bierbeek.
Drôle de lieu de rendez-vous, je ne m'attendais pas à une galante rencontre.
Ce fut pire.
Dans une rue aussi calme qu'un dortoir, ce que devait être ce village aux portes de Bruxelles, je tentai de repérer l'endroit précis. Entre deux petites maisons typiques des années soixante, en pierres rouges, rehaussées d'un toit d'ardoises, le numéro qu'elle m'avait indiqué n'existait pas. Ou plutôt, l'emplacement pour ce numéro était encore un terrain vague. Enneigé, avec vue sur les jardins contigus, mais terrain vague quand même.
Pas de mot, pas de pancarte, personne qui ne m'attende, j'avais l'impression (une impression?) de m'être fait piéger.
Les coups de sonnette chez les voisins ne m'aidaient pas, aucun d'entre eux n'était présent.
Trop tôt? Trop tard? Après une heure d'attente, la messe était dite. Je voulais rentrer, j'étais frigorifié.

Je n'allumai toujours pas la radio, mais les interrogations étaient encore plus nombreuses au retour. Par contre, au lieu de fixer la route, c'était la jeune prétentieuse au regard océan qui me fixait précisément.
Jusqu'à ce que son image se troublât et laissât place à une autre vision. Celle du fossé vers lequel je me dirigeais impitoyablement.

mardi 20 février 2007

Rencontre

Ma Mitsubishi Colt ne voulait pas démarrer. Rien d'étonnant. Le coup de froid n'était pas son coup de grâce, mais je devais m'armer de patience pour l'entendre à nouveau vombrir.
Pendant que je grattais la neige sur le pare-brise et tentais de lancer le moteur, je repensais à la veille, à l'élément déclencheur de cette fébrilité matinale.

Il était passé minuit, et comme d'habitude, le dernier bus venait de filer. La dernière séance de l'UGC De Brouckère que je venais de suivre terminait décidément trop tard pour la STIB. L'air se rafraîchissait mais ne présageait pas des chutes de neige quelques heures plus tard.

C'est en remontant à pied vers la cathédrale saints Michel et Gudule qu'elle est apparue.
Une jeune femme - la vingtaine?- m'accosta brutalement devant le perron.

- C'est vous, Lionel Raffin?
- On se connait? répondis-je tout aussi sec.
- Il était temps que je vous trouve. Vous devez partir de chez vous, pour neuf heures, dès aujourd'hui.
- Qu'est-ce que vous me racontez? Vous avez attrapé un coup de froid? Un coup de folie?
- Il en va de votre vie.
- Vous auriez pu me prévenir plus tôt, alors. Si vous connaissez mon nom, je suis dans l'annuaire.
- Ne soyez pas sarcastique. On ne me rencontre pas si facilement.

En quelques mots, elle m'agaçait déjà, avec son air bourré de certitudes, ses mystères et ses manies de femme fatale.
Pourtant, ses trois taches de rousseur délicatement posées sur son nez joliment retroussé, ses yeux bleu clair et son regard malicieux me transperçaient.

- Je n'ai pas le temps de tout vous expliquer; emportez tout ce que vous pouvez, quittez avant neuf heures le quartier place Meiser, prenez l'autoroute de Liège, et allez à cette adresse. C'est à trente kilomètres de Bruxelles.
Vous comprendrez là-bas.

A peine avais-je lu le billet qu'elle m'avait tendu, elle était déjà loin. En voulant la rattraper rue Treurenberg, il était trop tard, les petites rues entourant la cathédrale l'avaient déjà engloutie.
Le temps devenait glacial.
Qu'est-ce qui m'avait pris de l'écouter?

dimanche 18 février 2007

Démarrage!


Je ne suis pas un adepte de la voiture. La mienne croupit en bas de mon immeuble, sale, abandonnée. Déplacée une fois par mois, au maximum, histoire de la faire tourner.

Mais ce matin-là, je devais la prendre. Je n'avais pas le choix.
Et je ne risquais pas de l'oublier.

Il a fallu qu'il neige justement pendant cette nuit. Juste cette nuit, alors que l'hiver se terminait sans avoir vu un seul flocon sur Bruxelles.

Histoire de me rappeler que la journée ne serait jamais comme une autre...